The Human Stain, de Philip Roth

Bluffée par la drôlerie, l’impertinence et la causticité du Complexe de Portnoy, je ne voulais pas en rester là avec l’œuvre de Philip Roth. En me rendant à la Nouvelle Librairie internationale V.O à Lille en août dernier, je suis tombée sur The Human Stain. Et quelle lecture ! Mon enthousiasme, voire ma stupéfaction, sont telles que je préfère commencer par ma conclusion: ce livre est un très grand livre, une symphonie. Moi qui désespérais de retrouver le talent, l’intelligence, la finesse d’analyse d’un Gustave Flaubert ou d’une Jane Austen chez un auteur contemporain, je dois dire que Philip Roth m’a réconcilié avec notre siècle (OK, je suis un peu dure et vos suggestions sont les bienvenues).

The Human Stain est l’histoire d’un universitaire américain, Coleman Silk, frappé par l’anathème pour ce qu’il est (ou semble être) et pour ses choix de vie. Ancien doyen d’une Université, il retourne à l’enseignement des lettres classiques. Au bout de quelques semaines, il remarque que deux étudiants manquent systématiquement à l’appel. Il demande alors si ces derniers existent vraiment ou s’il s’agit de “spooks”. En anglais, le sens premier de “spook” est bien “fantôme” mais peut également être une insulte à caractère racial à l’encontre des Noirs. Or, il s’avère que les deux étudiants en question sont noirs. Toute l’Université se retourne alors contre Coleman Silk, accusé à tort d’être raciste. Menée par Delphine Roux, jeune Professeure française de lettres et Directrice du département Langues et Littérature, cette vindicte est exercée, ou en tout cas tolérée, par tout le corps professoral, bien content de régler ses comptes avec l’ancien doyen qui avait osé secouer la vénérable institution, et le pousse à la démission.

Deux ans plus tard, Coleman Silk, devenu veuf, entame une relation passionnée avec Fauna Farley, qui travaille comme gardienne de l’Université en charge de l’entretien, qui est illettrée et beaucoup plus jeune que lui. Cet autre scandale éloigne encore plus Silk de ce qui est attendu d’un septuagénaire blanc, issu d’une classe socio-professionnelle supérieure, de son cercle social historique et, plus douloureux pour lui, de ses enfants. C’est dans ce contexte troublé que Silk devient ami avec le narrateur Nathan Zuckerman, écrivain vieillissant, originaire de Newark dans le New Jersey, vivant dans la solitude (tiens, tiens…), et lui demande d’écrire un livre sur ce qui lui est arrivé. The Human Stain est une dénonciation évidente de la bien-pensance dont le temple serait l’Université, dépeinte comme un théâtre où hypocrites et imbéciles rivalisent en messes basses et en couardises.

Ensuite, en revenant sur le parcours de son héros brillant, férocement orgueilleux et hors cadre, le narrateur insiste sur sa volonté d’affirmer son individualité pour avancer dans la vie et s’affranchir de tout déterminisme social. Quitte à se construire une identité qui lui sied et renier ses origines. Quant à son ennemie jurée Delphine Roux, décrite comme une Normalienne inepte et immature, produit de l’enseignement supérieur français dans ce qu’il a de plus snob et de desséchant intellectuellement (le passage en question est vraiment hilarant!), a également cherché à s’affranchir des diktats familiaux en s’installant aux Etats Unis. Certes, Delphine Roux est l’exact opposé de Coleman Silk dans le sens où c’est un personnage sournois, incapable de penser par lui-même et emprisonné dans des certitudes. Toutefois, tous deux finissent par être détestés. Aussi, que veut nous dire Roth? Qu’il est vain de vouloir s’affirmer en tant qu’individu? Que mentir aux autres et à soi-même peut nous être fatal? Que l’intellect n’est pas tout (bien au contraire)? Le passage où Fauna (qui veut bien dire “faune” en anglais), d’une grande intelligence instinctive et mystérieuse, dialogue avec un corbeau, semble nous mener vers cette conclusion.

Par ailleurs, à travers le personnage de Coleman, Roth évoque le racisme endémique dans l’Amérique des années 50 et 60, les premiers émois amoureux, les grandes désillusions, les choix difficiles et les ruptures irréparables. Avec le personnage de Les Farley, ex-mari de Fauna, Roth évoque également la guerre du Viet Nam et ses traumatismes. Enfin, la grande mélancolie de Nathan Zuckerman nous rappelle l’inéluctabilité de la mort ou la majesté de la Nature qui nous survivra. Il y a d’ailleurs un passage très drôle où Zuckerman arrête de suivre un discours car ce dernier prend des accents rousseauistes (comme je compatis).Belle contradiction: ce livre est une ode à la Nature !

Tout ça dans un livre, oui. Une symphonie, vous dis-je.

« Because we don’t know, do we? Everyone knows...How what happens the way it does? What underlies the anarchy of the train of events, the uncertainties, the mishaps, the disunity, the shocking irregularities that define human affairs? (...) Intention ? Motive? Consequence? Meaning ? All that we don’t know is astonishing. Even more astonishing is what passes for knowing. »
— Philp Roth
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