La promesse de l’aube, de Romain Gary

Je n’avais encore jamais lu d’œuvre de cet auteur prolifique et mon choix s’est porté sur la très célèbre Promesse de l’aube, parue en 1960. Avant même de découvrir son œuvre, on ne peut qu’être étonné par le personnage Romain Gary, ses excentricités et son extraordinaire parcours, soigneusement mis en avant. Outre le fait que Gary ait gagné deux prix Goncourt dans sa carrière d’écrivain – dont un sous le pseudonyme d’Emile Ajar - j’ai appris en écoutant la série de la Compagnie des œuvres de France Culture (voir ici) que Romain Gary était inapte au bonheur, narcissique, provocateur mais aussi idéaliste, et profondément attaché à la ville de Nice. Il semble que Romain Gary - Roman Kacew de son vrai nom - se sentait à la fois Français, Russe et Polonais et que sa langue maternelle était le yiddish. Par ailleurs j’ai appris grâce à une collègue polonaise que les œuvres de Romain Gary ont bien été traduites en polonais mais ne sont pas considérées comme des classiques étudiés à l’école, par exemple.

Lire La promesse de l’aube m’a amené à réfléchir sur le pourquoi écrire. Et une anecdote entendue sur France Culture m’a conforté dans mon ressenti après avoir refermé ce livre (c’est très beau, très bien écrit mais que m’apporte ce récit, au fond?): lors de sa rencontre avec Gary, qui lui demande ce qu’elle a lu de lui (ça situe déjà un peu le personnage !), Myriam Anissimov lui répond La promesse de l’aube. Et Gary de réagir : « mais tu lis que des conneries ! ». Simple provocation ? Vanité extrême de l’homme qui prêche le faux pour savoir ce qu’on pense de son travail ou pudique trait d’humour d’un personnage qui s’est beaucoup plus livré qu’il n’a voulu le laisser croire ?

Au fond, qu’ai-je lu ? Selon moi, des mémoires dans lesquelles un homme profondément seul et mélancolique s’auto-analyse aux travers d’épisodes de son enfance, son adolescence et sa vie de jeune adulte marqués par une mère célibataire fantasque et étouffante, l’exil et la précarité. Là où les gens normaux entreprennent une thérapie quand leurs bagages sont trop lourds, Gary se raconte par écrit et est publié (en plus d’une thérapie, semble-t-il). Le prix Goncourt obtenu en 1956 a dû aider. D’où ma toute première réaction : mais enfin, pourquoi ? Que retenir en tant que lectrice?

J’ai entendu que tout ce Gary a pu dire ou écrire ne correspondait pas nécessairement à la réalité ou à ce qu’il pensait vraiment. Cela se sent dans La promesse de l’aube, et particulièrement dans la troisième partie, truffée de scènes complétement invraisemblables. Or, pour moi, chercher la vérité dans chaque paragraphe même prétendument autobiographique me semble vain, et pas que chez Gary, d’ailleurs. Ce qui m’importe c’est de comprendre pourquoi l’écrivain nous a livré ce récit et ce qu’il a voulu dire. Voici ce qui ressort de mes modestes réflexions :

- Le narcissisme, bien sûr, d’autant que certaines de ses réflexions s’apparentent à des variations sur le même thème. Mais l’auteur a l’intelligence de teindre son récit de traits d’humour et d’auto-dérision, qu’il qualifiait lui-même « d’hygiène respiratoire » dans une interview. Et c’est tout à fait ça. Sans trait d’humour, son livre aurait été atrocement ronflant et pompeux ;

- L’hommage rendu au sacrifice maternel, fondateur et fondamental dans sa vie, mais également source de son malheur et de sa solitude, lui permet d’exprimer son indignation politique et sociale, que je crois sincères : « Je juge les régimes politiques à la quantité de nourriture qu’il donnent à chacun, et lorsqu’ils y attachent un fil quelconque, je les vomis : les hommes ont le droit de manger sans conditions ».

- Lire La promesse de l’aube c’est aussi lire un tout petit bout de l’histoire du Vieux Continent telle que les gens l’ont vécue, de Wilno, actuelle Vilnius qui était alors en territoire polonais, à Nice entre les années 20 et 30. Romain Gary évoquent également la grande débâcle de 1940 et la Shoah, dont son père fut victime.

Un texte riche, donc, bien qu’autocentré. Mais je ne veux pas en rester là. Il doit y avoir autre chose chez cet écrivain talentueux, intelligent, maniaco-dépressif et drôle. Je pense que ma prochaine étape sera La Danse de Gengis Cohn. A nous deux, Gary !

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