Qui sème le vent, de Marieke Lucas Rijneveld
Après avoir refermé Ourika, l’angoisse m’étreint : que vais-je lire ensuite ? Certes, je n’ai pas lu TOUS les livres qui se trouvent dans ma bibliothèque mais aucun d’eux ne me donnait envie à ce moment-là. Je me suis donc rendue à la Librairie Européenne qui se trouve non loin de mon bureau et Qui sème le vent, de Marieke Lucas Rijneveld, a attiré mon attention. Pour plusieurs raisons: une histoire d’enfants et de famille en deuil, la campagne néerlandaise, qui évoque toute de suite chez moi une palette de couleurs esthétiquement très intéressante, une immensité horizontale qui peut être exaltante ou écrasante…Et puis, je n’ai pas lu beaucoup de best-sellers néerlandais dans ma vie !
Je suis sortie de cette lecture un peu groggy.
L’histoire y est tout d’abord pour quelque chose : à quelques jours de Noël, le grand frère de la narratrice, Matthies, part faire du patin à glace sur un lac. Angoissée à l’idée qu’on puisse manger son lapin à Noël, la narratrice fait une prière pour que le lapin soit épargné à la place de son frère et ce dernier meurt noyé dans l’eau glacée. Toute la famille, très pieuse et rigoriste dans sa pratique du Christianisme, plonge dans une sorte de coma mortifère. Tout le monde souffre mais tout ce qui sort de la bouche des parents sont des extraits de la Bible ou des considérations très terre à terre, le plus souvent liées au troupeau de vaches de la ferme. Or, quelques temps plus tard, une épidémie de fièvre aphteuse se répand dans la région et tout le cheptel doit être abattu. L’atmosphère dans la maison est donc atrocement pesante, personne ne parle et les enfants doivent vivre leur deuil dans une solitude extrême. Sans affection ni cadre, les enfants empruntent le chemin glissant de la violence et de la déviance. La narratrice se réfugie dans sa parka rouge qu’elle ne quitte plus, se rend littéralement malade, mais garde l’espoir d’obtenir un peu de tendresse de sa maman.
C’est donc un livre poignant, aux scènes souvent lugubres et où de nombreux personnages peuvent avoir un comportement étrange, voire complétement répréhensible, à l’égard d’êtres vulnérables. Mais tout est intériorisé, tu ou dissimulé.
Il y a de quoi être sonnée.
Ensuite, j’ai toujours été touchée par les récits racontés par un enfant ou un adolescent. Je pense notamment à Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur d’Harper Lee ou L’attrape-cœur de Salinger. Dans Qui sème le vent, l’auteur nous raconte une histoire terrible avec les yeux d’une petite fille qui fait preuve d’un sens de l’observation et d’une capacité d’analyse assez extraordinaires, même si certaines réactions lui échappent car elle n’a que dix ans. Et le procédé narratif est extrêmement crédible. Je me suis sentie happée par la voix de cette petite fille, son intériorité et ses descriptions du monde qui l’entoure. Aussi, accompagner cette petite fille très sensible traverser des moments durs, être témoin d’évènements traumatisants et être complétement négligée voire maltraitée par le monde des adultes ne laisse pas indifférent.
Enfin, en arrivant à la fin de ma lecture, je me suis dit qu’il y avait matière à citations quasiment à chaque page ! Comparaisons, métaphores et maximes sont légion, les descriptions sont toujours très imagées et symboliques. Pour que la traduction française soit aussi esthétique, je me suis dit que l’original devait être magnifiquement écrit. Or, et c’est vraiment déconcertant, cette orfèvrerie sert souvent à nous décrire des scènes peu ragoutantes voire carrément glauques. Comme rien n’échappe à la narratrice, l’auteur parvient à poétiser sur les minous de poussière sous un meuble, les crottes de nez étalées sur une couette (je vous avais prévenus), ou l’état de l’étable une fois que le cheptel a été abattu…
J’ai refermé ce livre en me disant que j’avais surement lu un chef d’œuvre éprouvant. En clair : si vous aimez la littérature et que vous avez le moral, allez-y. Si vous n’êtes pas en grande forme, les librairies regorgent d’autres livres !