Ourika, de Claire de Duras

J’ai découvert l’existence de court roman (ou nouvelle ?) très récemment, en écoutant une série documentaire de France Culture dédiée à la naissance du racisme, et particulièrement son chapitre consacré au Siècle des Lumières (voir ici).

La première chose que j’aimerais partager au sujet de ce livre est qu’il ne fut pas facile à trouver ! Mais alors, pas du tout ! Je suis plutôt une adepte des librairies, je ne commande quasiment jamais mes livres en ligne (sauf via Librel.be ou alors une âme charitable qui m’est très proche 😊 commande pour moi sur « evil Amazon » quand le livre que je souhaite lire est absolument introuvable. C’est nul et hypocrite, je vous l’accorde). J’ai donc cherché Ourika dans: la bibliothèque communale de mon quartier, deux librairies bruxelloises, une grande librairie à Lille, puis dans deux librairies parisiennes. Et c’est dans l’une d’elles, la Librairie Gallimard, située dans le 7ème arrondissement, que j’ai enfin trouvé ce livre, et ce grâce à la patience et la gentillesse de leur jeune libraire. Quel parcours !

C’est plutôt étonnant car il s’agit d’une œuvre classique de la première moitié du XIXème siècle au sujet rare et original : la mélancolie et la grande solitude d’une jeune femme noire accueillie et élevée par une grande famille noble en France, mais isolée dès l’adolescence, ostracisée et sans perspective possible car Noire, justement. A ma connaissance, peu de classiques de la littérature francophone ont un personnage principal noir (vos suggestions de titres sont bien entendu les bienvenus). Toutefois, une partie de moi ne peut s’empêcher de penser que le racisme, et particulièrement le racisme à l’encontre des Noirs, est un sujet ignoré et/ou glissé sous le tapis car peu reluisant et peu vendeur.

Or, cette œuvre est pour moi majeure ! Tout d’abord pour son sujet, je l’ai dit. L’autrice s’est d’ailleurs inspiré d’un fait réel connu dans Paris pour écrire son court roman. Ensuite, Ourika fut publié en 1823. Certes, l’autrice ne trouve pas vraiment d’issue heureuse pour son personnage. Mais elle a eu la modernité et l’intelligence de dénoncer les contradictions de la Révolution française dont l’universalisme est de toute évidence à géométries variables. Elle pointe également du doigt l’ostracisation des personnes perçues comme appartenant à une « race » différente alors que nombre de ses contemporains - et prédécesseurs, d’ailleurs - élaborent tout un tas de théories visant à catégoriser les gens en fonction de leur soi-disant « race ». Et ce regard critique est d’autant plus admirable quand on apprend que la famille maternelle de Claire de Duras s’est enrichie en Martinique et a donc dû profiter de l’esclavage.

Alors, bien sûr, tout ne m’a pas conquise dans le quasi monologue d’Ourika : sa grande mélancolie, ses trémolos, qui font tout de suite penser au « mal du siècle » des romantiques – Claire de Duras fut très amie avec Chateaubriand – ne m’ont pas touchée. Tout au long de ma scolarité et de mes études, les romantiques n’ont pas vraiment trouvé grâce à mes yeux, à l’exception d’Alfred de Musset. En revanche, j’étais fascinée par la finesse d’analyse de l’autrice et le regard incisif qu’elle porte sur la Révolution française (il me semble nécessaire de rappeler que Claire de Duras a fui la Terreur en s’installant en Angleterre quelques temps) :

« Croiriez-vous que, jeune comme j’étais, étrangère à tous les intérêts de la société, nourrissant à part ma plaie secrète, la Révolution apporta un changement dans mes idées, fit naître dans mon cœur quelques espérances, et suspendit un moment mes maux ? tant on cherche vite ce qui peut consoler ! J’entrevis donc que dans ce grand désordre, je pourrais trouver ma place ; que toutes les fortunes renversées, tous les rangs confondus, tous les préjugés évanouis, amèneraient peut-être un état de choses où je serais moins étrangère ; et que si j’avais quelque supériorité d’âme, quelque qualité cachée, on l’apprécierait lorsque ma couleur ne m’isolerait plus au milieu du monde, comme elle avait jusqu’alors. (…) j’apercevais les ridicules de ces personnages, je devinais leurs vues secrètes ; bientôt leur fausse philanthropie cessa de m’abuser, et je renonçai à l’espérance (…) ».

En conclusion, je ne peux que vous encourager à commander Ourika auprès de votre libraire pour faire comprendre qu’il y a une demande, lire cette histoire à la fois touchante et révoltante et découvrir la grande femme de lettres et d’esprit que fut Claire de Duras.

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