Portnoy et son complexe, de Philip Roth

Lu car conseillé par Dany Laferrière dans la dernière « Grande librairie » animée par François Busnel avant l’été (un roman loufoque où il est question de sexe, de judéité et du poids de la famille ? Autant dire un livre pour moi !), Portnoy et son complexe, paru en 1967, fut le premier succès de Philip Roth. Il semble que des gens l’alpaguaient dans la rue après sa parution et que certains juifs orthodoxes l’aient menacé car il n’est pas toujours tendre avec le judaïsme dans son livre, où la masturbation a également une TRES grande place.

J’allais oublier de parler de l’auteur… Philip Roth est né à Newark dans le New Jersey, en 1933 et est décédé en 2018. Son œuvre prolifique comprend certains cycles gravitant autour des mêmes héros qui partagent, semble-t-il, beaucoup de points communs avec l’écrivain (par exemple : ils sont originaires de Newark, comme Alexander Portnoy, juifs, académiciens/intellectuels etc.). J’ai d’ailleurs entendu que l’auteur se désolait de constater que les gens ne savaient plus lire de fictions car beaucoup cherchaient à savoir quels éléments étaient réellement autobiographiques… Parmi les thèmes abordés dans ses œuvres, on retrouve notamment le sexe, la judéité, l’Histoire, ou la tyrannie du politiquement correct. Pour en savoir plus sur Philip Roth, je vous invite à écouter les épisodes que la Compagnie des auteurs du formidable Matthieu Garrigou-Lagrange France Culture (disponibles ici).

Les spécialistes de Philip Roth disent de « Portnoy » que ça n’est pas son plus grand livre. N’ayant pas lu d’autres livres de Philip Roth, il m’est impossible de comparer et je préfère prendre le livre pour ce qu’il est à mon sens : une introspection décapante, impudique, et un règlement de compte, aussi. Le carcan familial, le judaïsme, le communautarisme et la bienséance en prennent pour leur grade. Allongé sur le divan d’un psychiatre, Alexander Portnoy évoque son enfance étouffée par une mère ultra-possessive et un papa sérieusement anxieux, ses obsessions sexuelles et sa vie d’adulte faite de faux-semblants. Bien sûr, ayant dit tout cela, de tels sujets soit éculés soit triviaux ont besoin d’un traitement spécial pour en faire un livre qui mérite d’être lu. Ici, c’est selon moi la rage mais aussi et surtout l’humour cinglant du narrateur qui rendent ce livre si particulier et dingue.

Et quand on dit que les livres nous provoquent et nous changent, j’ai ici un exemple très concret. Roth m’a vraiment fait réfléchir (et peur, aussi) en décrivant la maman de Portnoy…Certes, je ne menace pas mes enfants avec un couteau pour qu’ils mangent, mais beaucoup de traits de caractère ou d’épisodes m’ont fait penser à moi. Peut-on trop aimer ses enfants ? Sans doute (aïe). Je me réconforte en me disant qu’ouvrir les yeux, c’est déjà un premier pas et que chaque jour qu’il m’est donné de vivre avec mes enfants me permet de rectifier le tir.

Je termine avec cet extrait (Guillaume Gallienne a lu des passages de Portnoy pour France Culture. J’en ai écouté un bout : c’est vraiment savoureux !). Pour raisonner son bouillonnant petit frère (Alexander Portnoy, donc), Hannah vient lui parler :

« Sais-tu, me demande-t-elle, où tu serais aujourd’hui si tu étais né en Europe et pas en Amérique ?

La question n’est pas là, Hannah.

Mort, dit-elle.

La question n’est pas là.

Mort, gazé ou abattu, ou incinéré, ou égorgé, ou enterré vivant. Sais-tu ça ? Et tu aurais pu hurler autant que tu aurais voulu que tu n’étais pas un Juif, que tu étais un être humain et que tu n’avais absolument rien à voir avec leur stupide héritage de souffrances, on t’aurait quand même embarqué et liquidé. Tu serais mort et je serais morte aussi et…

Mais ce n’est pas de ça que je parle !

Et ta mère et ton père seraient morts !

Mais pourquoi te mets-tu de leur côté !

Je ne me mets du côté de personne, dit-elle, je t’explique simplement qu’il n’est pas si ignorant que tu le crois.

Elle ne l’est pas non plus, je suppose ! Je suppose qu’à cause des nazis, tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait devient intelligent et génial ! Je suppose que les nazis sont une excuse à tout ce qui se passe dans cette maison ! »

Précédent
Précédent

La plus secrète mémoires des hommes, de Mohammed Mbougar Sarr

Suivant
Suivant

Kim Jiyoung, née en 1982, de Cho Nam-joo