Les Métamorphoses, d’Ovide

Pour commencer, quelques informations « scolaires » sur cette œuvre magistrale et son auteur me semble nécessaires : Rédigé entre -1 et 8 après Jésus-Christ, ce long poème de presque 12000 vers serait le livre le plus long de la littérature latine. L’auteur, Publius Ovidius Naso (- 43 à 17), est issu d’une famille noble, a fait son droit car c’est ce qu’on attendait de lui et a voyagé dans sa jeunesse, en Grèce notamment. En l’an 8, coup du sort, l’Empereur Auguste le bannit de Rome – les véritables raisons de cet exil sont mal connues – et Ovide finit sa vie à Tomes, qui se trouve sur le territoire de l’actuelle Roumanie. Ovide est connu pour d’autres recueils de poèmes, comme L’Art d’aimer.

Je précise qu’étant passée à côté du latin, que je détestais au collège, j’ai lu la traduction en français de Danièle Robert de cette œuvre. Si Ovide vous intéresse, je vous invite à écouter les émissions de radio auxquelles elle a participé pour évoquer son travail et Ovide, surtout (voici un lien). Passionnant.

Un magistral plan séquence

Ce recueil de poèmes regroupés en quinze livres évoque la création du monde jusqu’à l’apothéose de César et la glorification d’Auguste. On y croise Dieux, nymphes, naïades, et héros tels qu’Achille ou Ulysse dans un formidable plan séquence qui s’adresse essentiellement aux sens et aux émotions du lecteur, plus qu’à son cortex. C’est la première chose qui m’a plu. Pourquoi un plan séquence ? Bien qu’un très grand nombre de mythes et transformations soient évoqués, j’ai toujours noté un lien, même ténu, entre chaque chant. Il me semble qu’Ovide avait une idée très précise d’où il souhaitait emmener son lecteur. La preuve en est que certains épisodes extrêmement célèbres de la guerre de Troie sont passés sous silence dans les livres XII et XIII, notamment la terrible colère d’Achille ou le cheval de Troie.

« Je vous dis qu’il n’est rien, dans l’univers entier, qui soit stable… » (Livre XV)

Attardons-nous ensuite sur ces fameuses transformations, ces métamorphoses d’homme, femme ou Dieu en animal (souvent en oiseau, mais en vache aussi, comme Io), végétal, fleuve ou étoile etc. La clef de lecture se trouve sans doute dans la doctrine de Pythagore, développée dans le livre XV. Ici, à travers Pythagore, le poète nous rappelle que tout n’est qu’impermanence, que rien n’est figé. Je serais curieuse d’avoir l’avis d’un.e Bouddhiste sur ce passage, qui évoque assez clairement la réincarnation. J’aime retenir de ce chant qu’il faut se garder de toute certitude et rester humble face aux vicissitudes de nos existences. Seuls une longue réflexion, une grande intelligence et des épisodes traumatisants (comme un exil ?) nourrissent une telle sagesse, sans pour autant donner des leçons de morale. Je trouve cela tout simplement admirable.

Par ailleurs, et c’est ce qui me touche le plus dans mes lectures en général, c’est la modernité du propos, l’universalité des récits d’Ovide. Par exemple, alors que l’empereur Auguste entend réglementer le mariage, le veuvage ou l’adultère (d’après ce que je comprends, la « norme » sexuelle dans la Rome antique était la relation entre un homme et une femme mariés, sachant que l’homme avait le droit de faire à peu près tout en dehors de son couple, et la femme, rien, bien sûr) Ovide, lui, évoque à peu près tout. La métamorphose d’Iphis, de femme en homme pour pouvoir épouser la femme qu’elle aime m’a notamment beaucoup touchée. Sans doute ce passage du Livre IX pourrait parler au plus profond d’une personne souhaitant changer de sexe. Les personnages d’Ovide sont aussi souvent frappés par un désir violent, qui, la plupart du temps, aboutit à un viol, d’ailleurs…

Parmi les mythes qui m’ont le plus marquée, on y trouve : Apollon et Daphné au livre I, le vol de Phaéton, fils d’Apollon, au livre II, Pyrame et Thisbé au livre IV qui ont surement inspiré les Roméo et Juliette de Shakespeare, Philémon et Baucis au livre VIII, couple qui se dit adieu en fin de vie avant de se transformer en arbre l’un devant l’autre, ainsi qu’Orphée et Eurydice au livre X.

Une œuvre fondamentale

Oui, évidemment, et vous n’avez pas besoin de moi pour le savoir. Mais j’aimerais ajouter qu’il ne faut pas en avoir peur et la lire si le cœur vous en dit. Ovide le dit lui-même dans ses tous derniers vers : il a écrit pour être lu, devenir immortel. Et ses chants ont profondément touché une lectrice de 2022 qui ne parle pas sa langue. Sources d’inspiration foisonnante, Les Métamorphoses ont été écrites avec intelligence, humour, et brio poétique, si l’on écoute les latinistes que j’ai décidé de croire sur parole. Certains récits sont encore très connus aujourd’hui et ne cessent d’inspirer. Outre Roméo et Juliette inspirés par Pyrame et Thisbé, j’ai noté une référence ultra contemporaine : les abonnés de Netflix qui ont vu la série Maid se souviennent peut-être que la maman de l’héroïne a pour projet de peindre la transformation d’Arachné en araignée sur un mur et mentionne explicitement Ovide (oui, cette référence n’a absolument rien de classique mais elle est pour moi un exemple criant de la modernité d’Ovide). Et, enfin, les tiraillements intérieurs d’Althée avant de tuer son fils Méléagre pour venger ses frères dans le livre VIII m’ont diablement fait penser au dilemme du Cid (référence plus classique, vous en conviendrez !).

Place à la poésie, avec la déclaration d’amour un peu vache du terrifiant Cyclope Polyphème pour Galatée dans le livre XIII :

« Vite, Galatée, viens ne dédaigne pas mes présents.

N’en doute pas, je me suis bien examiné en me voyant tout

récemment

Dans le reflet d’une eau limpide, et je me suis trouvé beau.

Vois comme je suis grand ; Jupiter dans le ciel (car vous nous racontez

Sans cesse qu’un certain Jupiter y règne) n’est pas d’une taille

Plus haute : une épaisse chevelure tombe sur mon visage farouche

Et mes épaules en sont couvertes comme d’une forêt.

(…)

Je n’ai qu’un œil au milieu du front, mais il est aussi gros

Qu’un énorme bouclier. Et alors ? Le grand soleil ne voit-il pas tout

Du haut du ciel ? Le soleil n’a pourtant qu’un disque.

Ajouter que c’est mon père qui règne sur votre mer,

Voilà le beau-père que je te donne. Aie seulement pitié de moi,

Exauce les prières d’un suppliant, car je ne m’agenouille que devant

Toi ».

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