Les mille et une nuits de Krushnik, de Sholem-Aleikhem

Si Ourika fut difficile à trouver, les livres de Sholem-Aleikhem traduits en français et publiés par la maison d’édition L’antilope sont tout bonnement introuvables, en tout cas à Bruxelles. La récente acquisition d’une liseuse - chose que je voulais faire depuis longtemps pour gagner de la place - et l’achat de l’ebook m’ont permis de régler ce problème en cinq minutes.

Et je suis très heureuse d’avoir enfin pu découvrir la verve, l’humour désolé, le génie ironique de Sholem-Aleikhem, grand auteur en langue yiddish du début du XXème siècle croisé en écoutant un podcast sur l’histoire Odessa. Les mille et une nuit de Sholem-Aleikhem ne conjurent pas la mort mais l’ignorance - volontaire ou non - et l’oubli du sort réservé aux Juifs d’Europe de l’Est pendant la Grande Guerre.

Ici, Shéhérazade est un homme qui se fait nommer “Yankl le Yunévien” et qui raconte son histoire au double d’encre et de papier de l’auteur dans un long monologue. Les deux personnages se rencontrent sur le bateau en partance pour New York, leur permettant de fuir la Guerre et les persécutions certaines, voyage que Sholem-Aleikhem a lui-même entrepris en 1915 et qui a inspiré ce récit. Yankl évoque l’invasion allemande de la région de Lubek, les exactions et le destin chahuté des siens, qui font ce qu’il peuvent et comme ils peuvent dans un environnement hostile.

« Je vais vous donner un conseil pour ne pas oublier: tenez, quand vous écoutez une de mes histoires, il faut prendre un calepin, bien vous installer, un crayon à la main, vous me suivez, et il n’y aura plus qu’à transcrire mot pour mot sur le papier, comme vous savez le faire - que cela reste gravé, comme on dit - pour les générations à venir.  »
— Les mille et nuits de Krushnik

Il est très troublant de lire certains passages, comme celui où Yankl, le rabbin et le rabbiner sont emprisonnés, puis conduits au cimetière et forcés de creuser leurs tombes. Même s’ils sont sauvés in extremis par l’arrivée des troupes russes qui font déguerpir les Allemands, Sholem-Aleikhem en dit assez pour décrire l’injustice et la tragédie. Ce qui également étonnant avec cet auteur c’est que le tragique n’est jamais complétement tragique et les issues heureuses ne trompent personne. Dans ce récit, ceux qui restent ont comme le devoir de rester en vie et de parler pour ceux qui sont partis. Face à l’adversité, Sholem-Aleikhem a fait le choix de l’humour caustique.

« Attendons d’être plus vieux d’une minute, nous serons fixés. »
— Les mille et une nuits de Krushnik

Je suis très heureuse d’avoir enfin découvert l’oeuvre du “Mark Twain juif” et ai hâte de lire Motl, fils du chantre.

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