L’Education sentimentale, de Gustave Flaubert

Après avoir terminé Girl d’Edna O’Brien, j’ai un peu erré dans mes lectures et n’ai pas été convaincue par les premières pages de Montréal Nord de Mariana Mazza (dans ces cas-là, je suis le conseil de Philippe Claudel, selon lequel le lecteur a tous les droits, et préfère passer à autre chose). J’ai donc décidé de me jeter sur ce grand classique que je n’avais pas encore lu. Flaubert, c’est pour moi auteur un peu à part dans l’histoire de la littérature française, un merveilleux « portraitiste », un regard intelligent sur nos faiblesses et nos travers et un orfèvre, aussi. Une valeur sûre, en somme.

Lire L’Education sentimentale c’est suivre le parcours assez médiocre de Frédéric Moreau qui, au début du roman, se rend chez lui à Nogent en bateau où il rencontre Marie Arnoux, femme mariée et plus âgée que lui. Il en tombe éperdument amoureux. Cet amour fou, quasi chevaleresque, sera la seule boussole de cet anti-héros qui termine ses études de droit péniblement et qui ne se donne pas la peine d’accomplir quoi que ce soit dans la vie, quelles que soient les opportunités qui s’offrent à lui. Fort heureusement, il hérite d’un oncle, ce qui le met à l’abri du besoin. Comme le titre l’indique, L’Education sentimentale est un roman d’apprentissage et, bien que fidèle aux sentiments qu’il éprouve pour la vertueuse Madame Arnoux, Fréderic commet des incartades, notamment avec une cocotte prénommée Rosanette, séduit une jeune femme innocente à qui il promet le mariage ou une veuve fortunée.

En me documentant sur Flaubert, j’ai entendu qu’il avait eu un coup de foudre à l’âge de quinze ans pour une femme mariée plus âgée que lui, rencontrée sur la plage de Trouville. Et tout comme Frédéric Moreau, Gustave Flaubert, en bon fils de notables de province (son père était médecin), fut obligé de faire son droit à Paris. Il n’a toutefois pas pu terminer ses études pour des raisons de santé et sa vie de rentier lui a permis de se consacrer entièrement à son art. Lucide, Flaubert. Et brillant, aussi, car de ces épisodes quelque peu banals il tire un roman de 457 pages.

Le miroir grossissant que Flaubert m’a tendu sur les vicissitudes de mon existence et mes maigres ambitions professionnelles, à travers le personnage de Frédéric Moreau, m’a un peu déprimée, je dois bien le dire. En revanche, j’étais captivée par le portrait que Flaubert dresse de son temps : le récit débute sous la Monarchie de Juillet (1830 – 1848) et prend fin pendant le Second Empire (1851 – 1870). La dimension historique du roman sert également la narration et offre de très belles pages, notamment lorsque le mouvement révolutionnaire de février 1848 fait écho à la colère de Frédéric, à qui Madame Arnoux a posé un lapin, qui traverse un Paris assiégé. Alors que son anti-héros traverse trois Régimes différents, il est évidemment invité à des soirées parisiennes où il est question des « dangereuses » idées de Proudhon ou d’Auguste Blanqui, des réformes de Guizot ou encore des échecs de Ledru-Rollin. Fascinant.

Par ailleurs, cette dimension historique est servie par une magnifique galerie de personnages secondaires extrêmement bien dépeints. Je pense par exemple au fantasque et peu fiable Monsieur Arnoux, avec qui Frédéric Moreau se lie d’amitié et partage une maîtresse (Rosanette, évoquée plus haut), à Sénécal, que Frédéric Moreau n’aime pas, sorte de Robespierre du XIXème siècle, à Pellerin, artiste peintre raté, attachant mais vraiment pathétique, ou encore à Dussardier, ouvrier sincère et réellement en phase avec ses idéaux de gauche.

Une belle lecture, donc. Certes, sur la vacuité de nos vies mais Flaubert l’a évidemment fait avec beaucoup d’intelligence et de lyrisme, comme en témoigne ce joli passage où Frédéric et Rosanette explorent Fontainebleau et ses envions pour échapper aux tumultes des début de la IIème République: « Ils arrivèrent un jour à mi-hauteur d’une colline tout en sable. Sa surface, vierge de pas, était rayée en ondulations symétriques ; çà et là, telles que des promontoires sur le lit desséché d’un océan, se levaient des roches ayant de vagues formes d’animaux, tortues avançant la tête, phoques qui rampent, hippopotames et ours. Personne. Aucun bruit. Les sables, frappés par le soleil, éblouissaient ; - et tout à coup, dans cette vibration de la lumière, les bêtes parurent remuer. Ils s’en retournèrent vite, fuyant le vertige, presque effrayés ».

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