Girl, d’Edna O’Brien

J’avais entendu parlé de Girl il y a quelques années en écoutant une chronique littéraire de Nicolas Carreau dans les Carnets du monde d’Europe 1 (quand cette émission existait encore) et je suis très heureuse d’avoir enfin découvert cette autrice majeure du XXème siècle et sa puissante prose.

Née en 1930 dans l’Irlande rurale, Edna O’Brien a tout d’abord travaillé comme pharmacienne à Dublin, avant d’épouser un écrivain, d’emménager à Londres avec lui et finalement de divorcer. Elle écrit son premier roman, Country girls, à l’âge de trente ans et là démarre sa grande carrière littéraire. Alors que ses héroïnes luttent contre les diktats sociétaux ou religieux, ses sept premiers livres ont été censurés dans son pays natal, car jugés blasphématoires. Dans une interview accordée à François Busnel sur France Inter en 2013 (voir ici), Edna O’Brien a avoué n’être jamais vraiment en paix avec son héritage culturel et spirituel. Et cela semble traverser son œuvre.

Dans Girl, on suit Maryam, jeune fille enlevée, séquestrée et réduite en esclavage par Boko Haram. A travers cette jeune héroïne fictive (bien qu’inspirée d’un fait réel découvert par hasard dans un journal), c’est le destin des jeunes victimes de l’organisation terroriste qu’Edna O’Brien a voulu nous raconter avec sincérité et réalisme. Elle s’est d’ailleurs rendue deux fois au Nigéria, y a rencontré des rescapées, des acteurs de terrain, et a mis trois ans à écrire ce livre.

Lire Girl, c’est suivre le parcours infernal de Maryam, victime de violences, mariée de force et qui découvre la maternité prématurément. Lorsqu’elle parvient à s’échapper, on suit sa cavale infernale, qui ne s’arrête d’ailleurs pas quand elle rentre auprès de sa famille, et on ne respire avec elle qu’aux rares moments d’accalmie, notamment quand elle est recueillie par une communauté d’éleveurs nomades. Le récit de son calvaire, direct et abrupt, laisse parfois place à l’onirisme - Maryam évoque ses rêves étranges à forte portée symbolique - ou à la beauté cruelle des paysages qu’elle traverse. Je suis donc convaincue qu’avec une telle richesse narrative, on peut relire ce livre plusieurs fois et y faire de nouvelles découvertes.

Lire Girl c’est aussi se questionner sur ce que l’autrice entend par être une “fille” et la condition féminine en général. Maryam est très jeune quand elle est enlevée, mariée et devient maman trop tôt mais tout cela ne fait pas d’elle une femme pour autant. Il me semble qu’Edna O’Brien souhaite faire comprendre à ses lecteurs que forcer une très jeune fille à faire ce qui est attendu d’elle (se marier, tomber enceinte) lui vole peut-être son enfance mais l’infantilise et l’empêche de s’accomplir pleinement en tant que femme. Du Beauvoir à l’envers, semble-t-il. Par ailleurs, dans le cas plus précis de Maryam, l’autrice nous rappelle aussi que les victimes de Boko Haram étaient tout juste sorties de l’enfance, ce qui rend leur sort encore plus pathétique.

« I was a girl once, nut not any more. »
— Edna O'Brien

Enfin, à l’image du magnifique dernier paragraphe du livre, la foi de l’autrice transparait dans le récit et l’espoir n’est jamais loin. Dans sa terrible épopée, Maryam rencontre des faisceaux de lumière: son mari Mahmoud, qui n’est pas un con fini et l’aide à s’enfuir, les éleveurs nomades et sa “Madara” qui prend soin d’elle alors qu’elle est physiquement et psychiquement à bout, ou encore Soeur Angelina (je ne dirai pas ce qu’elle fait car elle intervient à la toute fin du roman).

« I could not sleep. The tarpaulin on the roof of the bedroom had been rolled back. The stars had all gone in and the sky was gold, a dome of gold from end to end, its lustre so bright that it seemed as if the world was on the edge of a new creation »
— Edna O'Brien

Un roman captivant, donc, et une très belle prose. J’ai hâte de lire d’autres livres d’Edna O’Brien.

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