Faire les Sucres, de Fanny Britt

Sur la quatrième de couverture de l’éditeur français - Flammarion - de ce beau roman écrit par une autrice québécoise, on apprend que “faire les sucres, c’est exploiter une érablière”. En lisant le livre, on apprend également que la récolte de “l’eau” des érables par les acériculteurs se fait au tout début du printemps, quand il fait encore froid. Pour cela il faut “blesser” l’arbre “correctement”, en perçant son écorce au bon endroit.

C’est ce que décrouvre également Adam, animateur télé à succès, qui fait l’acquisition d’une érablière sur un coup de tête, à la suite d’un accident survenu sur une plage de Martha’s Vineyard (un petite île du Massachussetts apparemment huppée) l’été précédent et qui l’a traumatisé. Avec sa compagne Marion, il formait un couple à qui tout réussissait en apparence mais qui voit le sol de se dérober sous ses pieds après cet accident de surf qui blesse une jeune fille prénommée Celia.

Ebranlés dans leurs certitudes, perdus, Adam et Marion vont s’éloigner peu et à peu et cohabiter plus que vivre ensemble. Adam va se rapprocher de la famille d’acériculteurs à qui il a acheté l’exploitation, les Sweet (ça ne s’invente pas). Il respire mieux parmi les arbres et au contact de cette famille chaleureuse, alors qu’il a tant de mal à dialoguer avec sa fille Adèle, issue d’un premier mariage. Marion, quant à elle, va vriller, ne fera plus ce qui est attendu d’elle et semble être la première surprise.

Dans un interview, l’autrice explique qu’elle avait voulu faire entrer ses personnages dans le pays du doute. Le thème principal abordé dans ce livre - la quête de sens - n’est pas pas nouveau dans nos sociétés individualistes, où les injonctions au bonheur nous écrasent au point de perdre le fil. Or, Fanny Britt nous offre cette réflexion dans un roman imagé, sensoriel, qui n’est pas péremptoire, au phrasé esthétiquement réfléchi. Jeux de contrastes et symétries composent sont récit ouvragé où règne l’ironie du sort. La grande métaphore du livre en est un parfait exemple: on récolte un produit sucré alors qu’il fait encore froid. Par ailleurs, alors qu’Adam exploite une érablière, Celia, qu’il blesse involontairement, appartient à une famille productrices de taffys (sorte de bonbon mou très sucré et aromatisé) depuis plusieurs générations. Enfin, Adam et Marion ont les moyens qui leur permettent de se rendre à Martha’s Vineyard l’été, île prisée où les habitants permanents ne roulent pas sur l’or.

Fanny Britt aborde également le sujet ô combien difficile et douloureux de la famille et de la parentalité - contrairement à ce que certaines âmes bien-pensantes aimeraient nous faire croire - et nous questionne avec beaucoup de justesse et d’à-propos.

« Existait-il une seule chose au monde qui ne portait pas, en elle, de traces de violence? Se faire dépasser par la droite, sur l’autoroute. La photo scolaire, avec ses injonctions à sourire. La famille - Seigneur!- la famille était peinturlurée de violence. Fallait-il être idiot - ou en tout cas, intensément naïf - pour croire qu’il suffisait de ne pas voir les traces pour la violence soit absente? »
— Faire les Sucres, Fanny Britt

Exaspérée par Sodome et Gomorrhe que je n’ai pas pu lire jusqu’au bout, j’étais très heureuse de lire ce livre d’une autrice contemporaine, à la fois profonde et sensible. Bien que j’ai été nettement plus touchée par le récit consacré à Adam - sans doute pour sa sensibilité à fleur de peau, sa touchante immersion dans une exploitation agricole pas comme les autres et l'intérêt que porte cet ancien chef à l’alimentation - que par le parcours erratique de Marion, j’ai dévoré Faire les Sucres en me disant que j’avais peut-être dit au revoir à Proust, mais pas à la belle littérature.

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